La newsletter de l’ARE, RETOURS, a reçu Sébastien Gauthier peu de temps après la cession de Carbone Savoie par le fonds de retournement Alandia Industries :
RETOURS : Dans quelle condition était la société Carbone Savoie au moment de son acquisition par Alandia ? Quels ont été vos premiers chantiers ?
Sébastien GAUTHIER : Au moment de la reprise en avril 2016 par Alandia Industries, Carbone Savoie se trouvait dans une situation particulièrement grave. Son modèle économique et social était à bout de souffle. Non seulement ses coûts de production étaient les plus élevés du marché, mais l’entreprise était positionnée sur un unique marché, particulièrement cyclique et sortait d’une grave crise sociale qui avait très fortement affecté les clients.
Logiquement, les clients avaient perdu confiance, les installations ne tournaient qu’à 40 % de leur capacité et l’entreprise perdait plus de 1.5 million par mois.
Le déploiement d’une stratégie classique de redressement aurait pu consister en un recentrage sur les produits les plus rentables et sur les capacités de production les plus compétitives. Cette stratégie aurait amélioré à coup sûr les résultats financiers de Carbone Savoie, mais aurait aussi affaibli stratégiquement et durablement Carbone Savoie en en faisant un acteur de second rang, représentant moins de 5 % du marché mondial.
Nous avons au contraire choisi une stratégie offensive de sortie par le haut, visant :
- au niveau industriel : une transformation radicale de la structure de coûts de Carbone Savoie pour redresser les marges et pouvoir ensuite baisser les prix de vente, augmenter nos parts de marché et mieux remplir nos capacités de production.
- au niveau commercial : le développement d’une stratégie de diversification vers de nouveaux marchés. Carbone Savoie a lancé dès 2016 une activité de graphite de spécialité, qui représente aujourd’hui plus de 10 % du chiffre d’affaires et s’est rapidement orientée vers le développement d’un graphite en poudre pour batterie électrique, un des 4 projets retenus par la France dans le cadre du projet européen d’Airbus de la Batterie.
Loin de réduire la voilure, cette stratégie a permis de faire passer le chiffre d’affaires de 60M€ en 2016, à 128M€ en 2019, tout en préparant l’entreprise à entrer sur de nouveaux marchés plus porteurs et mieux protégés.
Quelles ont été vos plus grandes difficultés au cours du retournement que vous avez opéré et quels ont été les principaux ingrédients du succès du retournement de Carbone Savoie ?
Le principal objectif d’un dirigeant dans la tempête doit être de fédérer les forces de l’entreprise et de son écosystème (fournisseur, assureurs crédit, créanciers, représentant des salariés, salariés, clients, pouvoirs publics, etc…) et d’orienter toutes ces énergies vers un objectif partagé par tous.
La plus grande difficulté est d’amener chacun de ces protagonistes, dont les intérêts sont souvent divergents, à non seulement comprendre et se convaincre que le chemin ardu qui est présenté est le meilleur, mais aussi que tous les autres vont le prendre avec la même résolution.
Nous ne saurons jamais si notre stratégie était la meilleure chez Carbone Savoie, mais nous savons que tous ont accepté de gravir une pente longue et raide sans se retourner, convaincus que tous les autres suivaient une pente tout aussi longue et raide de manière équitable. Grâce à ces efforts, grâce à la confiance retrouvée, les résultats se sont rapidement améliorés, agrandissant de facto la taille du gâteau à partager ensemble.
Chez Alandia Industries, nous partageons facilement les fruits du retournement à condition que les efforts aient été partagés. Par exemple, au sein de Carbone Savoie, nous avons multiplié par cinq le montant de l’intéressement annuel tout en ouvrant 5 % du capital aux salariés. De manière contre-intuitive, les salariés n’ont jamais autant amélioré leur pouvoir d’achat qu’au cours des 3 ans de la période de retournement.
Carbone Savoie, qui n’intéressait personne il y a 4 ans, est aujourd’hui une entreprise solide générant plus de 25M€ d’EBITDA en 2019 (19 % de son chiffre d’affaires). Elle vient d’être adossée en pleine crise Covid-19 au japonais Tokai Carbon, le leader mondial des produits carbone et graphite
À la lumière de l’actualité récente, quels enseignements tirez-vous de la crise que nous traversons et des mesures préventives à mettre en œuvre dans vos participations ?
Cette crise illustre une nouvelle fois le rôle central que joue la compétitivité (notamment en terme de coûts) dans la pérennité d’une entreprise. Quand la demande baisse, les moins compétitifs subissent des pertes plus importantes et/ou sont les premiers dont les volumes sont réorientés vers des concurrents. Irrémédiablement, ils finissent par disparaitre.
La compétitivité et la productivité doivent donc toujours être au cœur de la culture des entreprises industrielles. Certaines industries, comme par exemple l’aéronautique, découvrent aujourd’hui cette réalité pour la 1ere fois. D’autres ont connu cette réalité par le passé mais l’avaient un peu oubliée.
Aujourd’hui, de nombreux dirigeants prennent le problème à l’envers. Ils cherchent de la trésorerie sans prendre à bras le corps la question de la compétitivité. Or, une entreprise compétitive (ou qui sait comment le redevenir) trouvera toujours des financements.
Dirigeants, construisez un plan concret, sans tabou et transformant. Commencez à le mettre en œuvre. Les financements suivront beaucoup plus facilement.
Les périodes de crise rappellent aussi à chacun qu’un dirigeant se doit en outre de gérer des risques et que ses performances doivent aussi être regardées à l’aune de la prise de risque. Par exemple, une entreprise souffre souvent beaucoup plus de la baisse des prix de vente consécutive à une baisse de la demande, que de la baisse des volumes en eux-mêmes.
Il est donc essentiel de gérer son portefeuille client de manière dynamique. Chez Alandia, nous savons que les difficultés engendrent les difficultés, nous essayons toujours dans nos participations de développer entre 30 et 50 % de stratégies commerciales défensives (clients avec lesquels nous avons par exemple des contrats à long terme indexés pour protéger nos marges).
Cela nous coûte quelques points de marge dans les bonnes années, mais amortit les chocs dans les années plus difficiles.
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