Les Echos décrivent les méthodes de travail des professionnels de la restructuration, dont les fonds de retournement ; article rédigé par Marie-Sophie Ramspacher et publié le 21/06/2013.
Les recettes des « company doctors » pour tenter de sauver les entreprises
A la une des journaux, Fram et Doux font actuellement l’objet d’une tentative de retournement. Jacadi, Panzani, Pleyel, Léon de Bruxelles ont été sauvés par ces urgentistes du management.
Mandataires ad hoc, administrateurs judiciaires, experts-comptables, avocats, banquiers, conseils financiers, fonds, une foule d’acteurs gravitent autour du retournement qui prend aussi le nom de restructuration ou de restructuring au point de fausser son image et de l’associer au pire…. « Le retournement est à dissocier de la traditionnelle gestion des faillites. Il revient à se détacher de l’approche purement liquidative au bénéfice d’un objectif de redressement et repose sur l’idée que l’entreprise revêt une valeur économique, sociale ou technologique qui mérite d’être réservée », corrige Guilhem Bremond, président de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE). « Une entreprise sur six vit un retournement sur une période de vingt ans, c’est donc une donne de leur parcours » ajoute Bernard Puraye associé de X-PM Transition Partners.
Pour autant la conduite des quelque 400 tentatives annuelles de retournement ne répond pas un schéma préétabli. Quant au pilote de ces opérations complexes, son profil est varié : c’est « souvent le premier sur l’affaire, celui qui amorce le diagnostic », avoue Cédric Colaert, associé fondateur du cabinet de conseil financier Eight Advisory. Suivant ses réseaux, l’entrepreneur, l’actionnaire ou le mandataire ad hoc s’adresse à un avocat, un conseil financier ou un gestionnaire de crise qui à son tour s’entoure d’experts. « Le plus efficace est de jouer collectif. Chaque praticien a son utilité à des phases différentes », tempère Guilhem Bremond.
Le principe
Retourner une entreprise signifie la ranimer. « C’est d’abord un travail d’urgentiste puis de stratège, les aspects prégnants de gestion de trésorerie ne sont qu’une conséquence et non une cause du problème », définit Arnaud Marion, président de Trans Consult International, en passe de réussir le sauvetage de Doux après avoir redressé Pleyel et Le Lido. « Retournées, les entreprises reviennent à la vie au prix d’une remise en cause fondamentale », complète Bernard Puraye.
Après avoir établi un diagnostic de la situation « le tryptique consiste à retrouver la rentabilité, restaurer la confiance et bâtir un nouveau projet d’entreprise », poursuit Alain Turkieltaub qui a orchestré de nombreux plans dans l’automobile (Arvin Meritor, Wagon Automotiv, Altia…). « Pour cela, il faut pénétrer l’entreprise, accompagner le management en place, voire sauver des têtes car le dirigeant n’est pas forcément en cause », définit Serge Vigier, directeur général délégué de Dirigeants & Investisseurs.
La première urgence est de sécuriser le périmètre, d’éviter que la situation ne se dégrade. « Revoir la position de bilan, négocier avec les banques pour le nantissement des stocks, faire appel à l’affacturage, facturer plus vite permettent de redonner instantanément du cash », énumère Helen Lee Bouygues.
S’appuyer sur le management en place
Il est rare que le dirigeant reste seul aux commandes : même s’il demeure dans les murs, c’est le gestionnaire de crise qui devient l’opérationnel pour l’épauler et le protéger. Pour autant, ce company doctor n’a pas vocation à débarquer avec son staff. « S’appuyer sur les compétences internes est un pré-requis pour espérer recréer de la performance », énonce Arnaud Marion qui insiste sur la nécessité de communiquer sans cesse avec les équipes, partenaires sociaux compris. « Bien souvent ils connaissent les problèmes et les solutions, les consulter régulièrement est élémentaire » insiste t-il. Il y a évidemment des cas exceptionnels. En février, Daniel Cohen, spécialiste du cost-killing, a pris la présidence du directoire de Fram avec dans ses bagages le directeur financier de son propre cabinet, Zalis, et l’ancienne directrice financière d’Air France, placée à la présidence du conseil de surveillance : la famille actionnaire a été entièrement écartée des principales fonctions opérationnelles.
Des coupes franches pour des restructurations lourdes
Quel que soit l’état de l’entreprise, les premières décisions sont toujours vécues douloureusement. « Après avoir parachevé mon diagnostic, je consacre une soirée à le livrer et l’expliquer aux managers concernés. C’est un choc nécessaire. Les sociétés abîmées exigent des restructurations lourdes », relate Cédric Colaert. « Notre travail, c’est 20 % de technique et 80 % de psychologie », résume Nicolas de Germay, président du fonds Alandia : « Dans le déni de la réalité, le dirigeant en difficulté est dérouté, rongé par la culpabilité de ne pas avoir su anticiper », détaille celui qui a contribué au redressement de Jacadi et de SES.
Oser les coupes franches est évidemment plus facile pour un regard neuf
Chez Doux, les administrateurs judiciaires et Arnaud Marion ont stoppé les produits frais déficitaires, ce qui a conduit à la suppression de 1.000 emplois, une mesure que le fondateur n’aurait jamais prise seul. À contrario, chez Smalto, la relance s’est faite grâce à une série de lancements (ligne de montres, parfum). « Lors de la vente de Smalto en 2002, le maître est parti. La transition s’est faite au sens brut, il fallait repartir de zéro », explique Thierry Le Guénic, dirigeant du couturier depuis qu’il l’a ranimé. Stratégie identique chez Panzani retournée par Xavier Riescher : la marque a retrouvé son rang après avoir réussi sa diversification dans le riz et les pommes de terre. Avec précaution, Alain Turkieltaub manipule d’autres outils : l’amélioration de la qualité « valorisante pour les équipes », l’augmentation des prix, la révision des rémunérations et l’innovation permanente. Certaines mesures tactiques sont fructueuses : « Déplacer une seule personne suffit à remettre de l’huile dans les rouages, en l’occurrence un leader qui freine le changement ».
Réussir sa sortie
Quand et comment estime-t-on une affaire sauvée ? Selon Thierry Le Guénic « l’opération est achevée lorsque l’entreprise s’autofinance avec un cap clair pour l’avenir ». Michel Maire, associé de Dirigeants & Investisseurs complète : « La transformation représente 80 % des efforts d’une mission, le développement les 20 % restant. Lorsque le rapport entre les deux se rééquilibre, voire s’inverse c’est le moment de passer la main. » Participer à la recherche de l’opérationnel qui poursuivra la mission est la dernière étape. Contrairement au profil du manager de crise qui exige selon Alain Turkieltaub « une endurance hors du commun pour travailler de 6h à 23H sans argent pour les salaires ni les fournisseurs », celui qui lui succède doit avoir l’étoffe d’un (excellent) gestionnaire car les risques de rechute existent comme le prouvent les nouvelles déconfitures de Virgin, Partouche et Heuliez.