Il faut se pencher sur la rentabilité des PME pour redresser des entreprises
Article publié dans l’Agefi Hebdo le 24 juillet 2014
Un bon retournement ne consiste pas à acheter « à la casse », puis à attendre sans rien faire la reprise de la conjoncture.
Nous sommes dans un contexte de crise grave qui a des répercussions sur la consommation. A cela viennent s’ajouter des problèmes de rentabilité intrinsèque dans les PME, car peu d’entre elles sont finalement uniquement confrontées à des difficultés purement conjoncturelles. Si nous revenons un instant aux notions de base, l’entreprise se rend compte qu’elle rencontre des difficultés parce qu’elle n’arrive pas à rembourser ses créances ou à payer ses fournisseurs. Le dirigeant se retrouve dans une impasse de trésorerie qui lui impose de réagir. Ce déséquilibre du bilan peut provenir de trois causes essentielles : une insuffisance de fonds propres ; un surendettement ; et une exploitation courante qui ne génère pas assez de résultat et donc de trésorerie.
L’insuffisance de fonds propres et le surendettement se traitent – effectivement assez simplement – par une stratégie de restructuration financière. On oublie souvent en revanche qu’un mauvais bilan est également le résultat d’une succession de comptes de résultat déficitaires qui sont eux-mêmes le symptôme d’un problème de compétitivité ou de rentabilité.
Peu de professionnels parviennent à comprendre que si le bilan est déséquilibré, cela provient des déséquilibres du compte de résultat. Beaucoup de retournements d’entreprises s’arrêtent au retournement financier, donc au bilan, en allant voir les banques, la partie fiscale et la partie sociale pour chercher à rééchelonner ou à diminuer telle ou telle part. Mais la vraie question consiste à savoir d’où provient le déséquilibre du compte de résultat. Les marges sont-elles suffisantes ? L’ERP (enterprise resource planing) permet-il de disposer du bon prix de revient ? Bien entendu, ces questions induisent une remise en cause du dirigeant et de ses choix de gestion. C’est pourquoi il est plus simple psychologiquement pour lui de regarder d’abord le bilan. Mais ce faisant, on passe à côté du moment favorable pour engager un bon retournement.
L’anticipation en matière de retournement est donc très difficile. Un autre aspect important du retournement que doit affronter une entreprise est celui de son activité. De ce point de vue, les Anglais ont une approche qui s’apparente à la théorie de la destruction créatrice de Schumpeter : ils ne s’obstinent pas à sauver les emplois au détriment des stakeholders (les partenaires clés de l’entreprise que sont les créanciers, les fournisseurs, les clients, les actionnaires et l’Etat – sachant que l’Etat tient une place plus importante dans l’économie chez nous que chez eux). En France, on a le sentiment qu’il vaut mieux sauvegarder les emplois au détriment de ces cinq stakeholders. Les Anglais préfèrent tenter de sauver l’activité ou le fonds de commerce. Dans leur approche, si les emplois ont un sens, ils se recréeront ailleurs, dans une autre entreprise. De plus, en droit français, la notion d’entreprise n’existe pas. On parle de société, de groupe (encore que cette dernière notion n’existe pas en droit, mais seulement en comptabilité, en fiscalité ou dans le domaine social).
En conséquence, en France, l’entreprise n’est pas dissociée de l’activité. C’est pourquoi on cherche à maintenir l’entreprise lorsqu’on veut sauver des emplois. L’article L631-1 du code de commerce dit que l’objectif de la loi est de maintenir l’activité pour maintenir les emplois et éventuellement désintéresser le passif. On voit bien le parti pris de cette loi, qui a été votée dans le contexte des crises du début des années 1980 qui traumatisaient le pays (Creusot Loire, Boussac et d’autres grandes faillites). Maintenir l’activité pour maintenir les emplois et rembourser le passif, si possible et seulement à la fin, ne revient pas à s’interroger sur la viabilité de l’entreprise ni sur l’intérêt de ses parties prenantes. La vraie question est de savoir si l’activité est intéressante. Peu importe que l’entreprise soit exsangue, ne puisse plus payer les salaires. Si son activité a encore de l’intérêt, l’entreprise pourra être restructurée. Reprendre des entreprises pour un euro ne présente aucune difficulté. On peut même en acheter dix dans la semaine. Mais un bon retournement ne consiste pas à attendre sans rien faire la reprise de la conjoncture. La valeur ajoutée, c’est de comprendre l’activité et de lui redonner du sens.
Enfin, un bon retournement suppose aussi que l’entreprise soit prête à remettre en cause son business model. Si c’est le cas, on trouve ensuite les solutions techniques. Il y a aussi une grande part de psychologie. Il faut convaincre le chef d’entreprise – et ce n’est pas la partie la plus simple…