Panorama des fonds de capital retournement réalisé par Challenges en octobre 2013.
La liste des entreprises en crise est un vivier, bien rempli aujourd’hui où des investisseurs viennent pêcher la plus-value future. A leurs risques.
Walter Butler désigne une pile de feuilles couvertes de tableaux. « Une liste d’entreprises en dépôt de bilan. J’en reçois une par semaine. La grande majorité partira en liquidation. » Sous ses dehors policés, cet énarque exerce depuis vingt ans un métier de cow-boy : le retournement. Le rachat d’entreprises en crises, pour y investir et les restructurer, puis les revendre avec une plus-value. Ses concurrents s’appellent Hélène Martel-Massignac (Caravelle), Didier Calmels (D1P), Jean-Louis Grevet (Perceva), Jean-Louis Detry (Vermeer Capital), Nicolas de Germay (Alandia) … Un cercle très restreint. « Nous pouvons travailler avec au maximum dix fonds de qualité », juge Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance. Pas étonnant qu’ils ne soient qu’une poignée : ces investisseurs exercent un métier à haut risque, et prennent parfois des raclées sévères. Caravelle, un des acteurs solides de la place, a jeté l’éponge pour le transporteur Mory Ducros. Un an plus tôt, Walter Butler a dû liquider Virgin. Ces échecs plombent la rentabilité des fonds. Et les contraignent à dégager des profits énormes sur d’autres dossiers, pour compenser.
Pénurie de « bons dossiers »
Retourneur, un « métier de chien ». Une fois l’entreprise rachetée, démarrent de laborieux chantiers : plan social, investissements, refonte du management … « les grèves, les séquestrations, les comités d’entreprise, il faut affronter : » lance Cédric Colaert, fondateur de Eight Advisory, expert dans l’audit des « situations spéciales ». « Nous passons 90 % de notre temps à faire un travail très opérationnel », dit Jean-Louis Grevet, repreneur de Monceau Fleurs et Dalloyau, qui guigne le traiteur Hédiard.
La crise ne fait pas forcément leur miel. Au troisième trimestre 12 790 entreprises ont déposé le bilan – un record depuis 2009. Malgré cela, les repreneurs déplorent la pénurie de « bons dossiers ». Dans les situations vraiment dégradées, les candidats ne se bousculent pas : Alandia était seul en lice pour le fabricant de nourriture animale Continental Nutrition – décision attendue ce 5 décembre -, qui emploie 700 salariés et perd 1 million d’euros par mois. Certains secteurs sont délaissés, comme le transport : les marges sont trop faibles pour espérer rentabiliser l’affaire. Beaucoup de sociétés en dépôts de bilan atteignent un point de non-retour. « Le mieux, ce sont les solutions de prévention : les procédures de mandat ad hoc et de conciliation, confidentielles, permettent de sauver 80 % des dossiers » estime l’administrateur judiciaire parisien Laurent Le Guernevé.
Salve de fonds anglo-saxons
Les sociétés saines, souffrant d’un endettement excessif, attirent plus. « C’était le problème numéro un de Doux », note son tout nouvel actionnaire, Didier Calmels. Jacques Veyrat, l’ex-bras droit de Louis Dreyfus, a ainsi pris le contrôle, via son holding Impala, du fabricant de cloisons Clestra et de l’imprimeur CPI. Ce cas de figure a aussi attiré une nouvelle race d’acteurs : les fonds anglo-saxons de restructuring, comme Oaktree, Sun Capital ou TowerBrook. Armés de milliards de dollars, ils ont souvent débarqué avec des stratégies alternatives. Comme la prise de contrôle inamicale via le rachat de créances – ce fut le cas de Belvédère (spiritueux), repris puis revendu par Oaktree. « Vu la vitesse à laquelle la conjoncture se durcit, les banques discutent avec tous les acteurs du financement, notamment des hedge funds, de nouveau prêts à regarder des dossiers français », remarque Helen Lee Bouygues, fondatrice du cabinet du même nom. Consciente de l’utilité des repreneurs, la puissance publique soutient les Français, Bpifrance s’est engagée à investir 300 millions d’euros dans des fonds privés tricolores. S’y ajouteront les 300 millions de prêts aux entreprises en crise, débloqués récemment par Arnaud Montbourg.