Nicolas de Germay decrit le fonctionnement et les limites du plan de continuation et du plan de cession

 

Entretien accordé par Nicolas de Germay et Charles-Henri Rossignol en mars 2016 au Jaune Rouge, publication de l’association des anciens élèves de l’école polytechnique, centré sur diverses stratégies pour reprendre une entreprise en difficulté avec un plan de redressement.

Un cadre juridique inadapté

La problématique du retournement d’entreprises touche des domaines essentiels de la société. Une bonne connaissance du cadre juridique est donc nécessaire pour éviter une mise en défaut vis-à-vis de la loi. Mais aussi pour faire apparaître les améliorations à apporter à cette loi, passablement archaïque.
Les procédures de prévention, amiables et confidentielles, sont utiles et bien rodées maintenant, mais malheureusement peu connues des dirigeants qui souvent n’anticipent pas assez et se retrouvent en situation de cessation de paiement sans les avoir envisagées. Mis à part les solutions amiables et la liquidation, il reste pour une société défaillante la solution du redressement judiciaire.

On distingue le plan de continuation, dans lequel l’actionnaire reste en place et les dettes sont étalées dans le temps, et le plan de cession, dans lequel un repreneur reprend via une nouvelle structure tout ou partie de l’entreprise défaillante.
Le plan de continuation est complexe, fait porter à l’entreprise les stigmates du passé et connaît in fine un taux de réussite très faible. C’est trop souvent un sparadrap sur une jambe de bois qui ne fait que gagner un peu de temps au bénéfice des actionnaires existants mais est préjudiciable à la pérennité de l’entreprise. Le plan de cession est en général plus adapté, mais il souffre d’un manque de repreneurs pour les sociétés de plus faible taille, et nécessite de réinjecter des fonds de roulement, aspect qui est trop souvent négligé.

 

Réussir une opération de retournement

Les causes de défaillance sont multiples, mais on trouve fréquemment des accidents industriels, beaucoup d’erreurs de gestion (avec une culture française peu orientée vers la prévision et le suivi budgétaire), des retournements conjoncturels ou des ruptures technologiques. La solution à ces problèmes est toujours managériale. De plus la conception même de la loi, qui fixe comme priorités d’abord l’emploi, ensuite l’entreprise et enfin les créanciers, renforce cette prééminence opérationnelle. Le retournement est donc avant tout un métier de manageur et non pas d’investisseur financier. Les facteurs de réussite sont surtout liés aux compétences du management : finalement, c’est 90 % de bon sens, 5 % de financier et 5 % de restructuration pure et dure.

Une fois les causes identifiées, il est important pour un repreneur d’être assisté tant sur le plan juridique que sur le plan des audits et de ne pas sous-estimer les apports nécessaires afin de reconstituer le fonds de roulement. On achète surtout des actifs immatériels : un fonds de commerce et des savoir-faire. Au cours des quinze dernières années, le marché s’est professionnalisé et a gommé l’image sulfureuse qu’il a pu avoir, même si l’on peut regretter l’absence des groupes industriels qui se tiennent en retrait pour des raisons d’image et de réputation.

 

Le poids déterminant du social

La procédure collective est, de ce point de vue, très utile. Elle donne une prise de conscience, encadre les processus tant du point de vue financier que du calendrier, et permet en effet de détourer l’activité en fonction du périmètre de reprise et d’ajuster au mieux les effectifs à la capacité de chiffre d’affaires de l’entreprise. Dans un investissement de retournement, l’emploi est le principal levier, il a donc un poids déterminant dans le succès ou l’échec de la reprise. Il est toutefois important d’être transparent à l’égard de l’ensemble des parties (organes de la procédure, salariés, partenaires sociaux, pouvoirs publics).

 

Changer de paradigme

On constate aujourd’hui que, si le marché du retournement d’entreprise s’est largement professionnalisé, il reste d’une opacité forte et est donc assez inefficient. La conception de la loi est archaïque car, à force de protéger l’emploi et les salariés, on finit par tuer les entreprises ou par faire supporter à la collectivité les coûts de restructuration salariaux. Pire encore, on établit une distorsion de concurrence au détriment de la société saine puisque la société qui reprend un défaillant acquiert un outil industriel pour un coût minime qui ne sera donc pas amorti. Il est temps de renverser le paradigme des priorités de la loi, et cela dans l’intérêt collectif.

 

Qui sont les professionnels du retournement ?

On dénombre environ 110 administrateurs judiciaires et plus de 500 mandataires, auxquels il faut ajouter des avocats spécialisés, des banques d’affaires, des conseils (métiers du chiffre), des manageurs intérimaires, ce qui représente au total un peu plus de 2 000 professionnels en France. S’agissant des investisseurs, on trouve un petit nombre de professionnels récurrents et une multitude de manageurs qui, au cours de leur carrière, feront une voire deux reprises. C’est du reste un des rôles de l’AIR (Association des investisseurs en retournement) que de favoriser l’émergence d’un plus grand nombre de repreneurs professionnels. Il faut aussi développer la reprise et l’approche des dossiers de retournement par les industriels, mais cela demande des évolutions législatives notamment par rapport aux risques de coemployeur et aux problématiques fiscales liées aux conversions de créances qui rendent notre droit moins compétitif que d’autres juridictions européennes.

 

Repères

On dénombre environ 63 000 déclarations de cessation de paiement par an. Plus de 80 % concernent des sociétés sans véritable activité économique, des coquilles vides, ou des sociétés unipersonnelles dont le dirigeant actionnaire veut arrêter l’activité, souvent par absence de succession. Il s’agit en quelque sorte de « dépôt de bilan poubelle », et dans plus de 70 % des cas la liquidation judiciaire immédiate est prononcée.
Pour les 20 % restants, en revanche, constitués d’un tissu de PME, l’enjeu est colossal, direct et indirect et concerne plus de 250 000 salariés par an. Environ 250 de ces dernières sociétés font plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires et forment le marché visible du retournement en France.
Ce chiffre peut être multiplié par quatre si l’on rajoute les sociétés qui font l’objet, en amont, de procédures de prévention – généralement efficaces, avec plus de 70 % de réussite.

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