Développer l’investissement dans les entreprises en difficultés en France

 

Le fait qu’une immense majorité des entreprises en difficultés ne trouvent pas de repreneurs en France, et ce depuis plusieurs années, ne peut qu’interpeller les acteurs économiques (95 % des entreprise placées en procédures collectives terminent liquidées). Le diagnostic est sérieux même si comme on le verra les remèdes ne sont pas forcément ceux que l’on croit…

 

  1. La première réflexion est de rappeler que l’investissement dans des entreprises en difficultés est l’un des plus risqué qui soit. On ne peut donc pas reprocher aux investisseurs d’être sélectifs. Le retournement n’est pas qu’une affaire de fonds injectés, mais de fondamentaux suffisamment solides pour envisager trouver et mettre en jeu les leviers nécessaires. Il faut donc savoir reconnaître et accepter qu’une grande majorité des entreprises en difficultés a dépassé le stade curable, plutôt que de mettre en jeu ce qui s’apparente souvent à de l’acharnement thérapeutique.

 

  1. La seconde réflexion est de s’interroger sur la pertinence des chiffres existants. En effet, il n’existe pas de statistiques sérieuses prenant en considération la réalité des entreprises concernées. Comment comparer le devenir d’une entreprise reconnue employant plusieurs centaines de collaborateurs (qui pourrait intéresser les fonds de retournement – les investisseurs professionnels, voir point 4), la PME familiale exploitant un savoir faire (qui pourrait intéresser un repreneur individuel – les investisseurs patrimoniaux, point 4) et l’entreprise unipersonnelle qui cesse son activité à la suite du décès ou du départ en retraite de son unique collaborateur/dirigeant ?

 

  1. La troisième réflexion est – comme souvent en France – de critiquer le cadre réglementaire. Les pouvoirs publics ont beaucoup œuvré pour développer – depuis 30 ans – un arsenal du traitement des difficultés (traitement amiable et traitement judiciaire) pour apporter une aide financière entreprise en difficulté. Cet arsenal est aujourd’hui l’un des plus complets en Europe, mais il est également devenu, au fil des ajouts ou réformes successives, largement incompréhensible pour un dirigeant. Cette difficulté ne pourra être traitée que par la refonte (simplification et lisibilité) du droit des entreprises en difficultés.

 

  1. La quatrième réflexion, récurrente depuis des années, viendrait d’un manque d’investisseurs professionnels et de financement. En d’autres termes, les investisseurs en retournement seraient trop peu nombreux et trop peu dotés en capital.

Cette piste mérite d’être étudiée pour en montrer sa non pertinence.

En effet, les investisseurs en retournement se répartissent en deux catégories : les investisseurs professionnels aguerris à la restructuration d’entreprise (des investisseurs qui investissent, redressent et revendent à moyen terme – ci-après les investisseurs professionnels) et les investisseurs patrimoniaux (des individus qui achètent, redressent pour conserver et diriger eux-mêmes à long terme – ci-après les investisseurs patrimoniaux).

Par nécessité, la première catégorie ne peut s’intéresser qu’à des entreprises d’une certaine taille. Or on compte – en moyenne et sur la France – moins de 160 entreprises de plus de 15 millions d’euros de CA (moins de 400 ayant un CA > 5 millions) faisant défaut chaque année sur environ 55.000 cessations de paiements (source Altarès/Deloitte – rapport annuel sur les entreprises en difficultés). Comme indiqué au point 1, seule une minorité de ce nombre dispose encore de fondamentaux permettant de tenter un sauvetage. Sachant qu’il existe une vingtaine d’investisseurs en retournement actifs sur la France (fonds français ou étrangers), il est donc faux de considérer que l’on manque de capacités d’investissement professionnel (professionnels de l’investissement dans des entreprises en difficultés).

 

  1. Quatrième réflexion (complément). Par contre, il est certain qu’il existe trop peu d’individus (investisseurs patrimoniaux) prêts à se risquer à reprendre une entreprise en difficultés (possiblement dans le cadre d’une opération de carve out).

Or ce manque de repreneurs est le plus fondamental. En effet, l’immense contingent des entreprises en difficultés produit un chiffre d’affaires inférieur à 5 millions d’euros (près de 52.000 sur 12 mois à fin mai 2018 selon la Banque de France).

L’explication vient sans doute de trois facteurs principaux :

  • Un manque d’esprit d’entreprise : combien de collaborateurs d’artisan refusent de reprendre l’entreprise de leur patron au moment de la retraite, quitte à devoir trouver un nouvel employeur ?
  • Une mauvaise réputation des tribunaux de commerce ;
  • Un droit des entreprises en difficultés complexe et peu accessible aux non-initiés.

 

  1. Cinquième réflexion. Les entreprises françaises reprennent trop peu souvent leurs concurrents, fournisseurs ou clients en difficultés. Cette réticence – alors qu’ils seraient sans doute les mieux placés pour en assurer la restructuration d’entreprise – provient encore une fois à la complexité du droit mais surtout aux risques de contagion (voir points suivants).

 

  1. Sixième réflexion : Travailler sur la levée des freins à l’exécution des retournements.

Notre contribution au débat sur le renforcement des capacités d’investissement en retournement nous pousse à vouloir faciliter l’exécution du restructuring plutôt que de travailler sur le seul financement.

Des aménagements limités pourraient porter sur les points suivants :

  • rétablissement de la neutralité fiscale des conversions de créances en capital ;
  • possibilité d’utilisation de 100% des déficits fiscaux reportables pendant les 3 premières années ;
  • Sursis (3 ans minimum) pour les impositions « automatiques » et forfaitaires (taxes foncières, CFE, etc.) ;
  • rétablissement de l’application de l’article 44 septies du CGI (exonération de plus-values pour les repreneurs d’entreprises en difficultés) à tous les secteurs d’activité ;
  • non transfert du statut de salarié protégé aux repreneurs (sociétés nouvelles) dans le cadre des plans de cession (évitant une gestion sociale complexe héritée d’une société liquidée…) ;
  • sursis (3 ans minimum) à l’application des effets de « consolidation de groupe » pour faciliter le travail des acteurs du retournement, en minimisant les risques de « contagion » pendant la période critique (Unuion Economique et Sociale – UES – Co emploi, Obligation de consolidation comptable, etc.) pour inciter les industriels à investir.

 

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