Les secteurs industriels traditionnels ont encore de beaux jours devant eux. Malgré des tensions sur le marché de l’emploi.
L’Usine Nouvelle publie le 12 juillet 2017 cette enquête sur l’industrie en Rhône-Alpes et en Auvergne.
Réindustrialiser une entreprise moribonde, c’est possible. Sans délocaliser ni licencier. Depuis qu’elle est redevenue une PME 100 % française, Carbone Savoie, auparavant dans le giron de Rio Tinto, a redressé sa situation financière et investi massivement : 26 millions d’euros dans ses usines savoyarde et lyonnaise entre 2016 et 2019. L’amélioration de sa compétitivité va de pair avec une implication accrue des salariés au capital de la société et au conseil de surveillance où siègent les représentants du personnel. Résultat de cette alchimie : alors qu’elle perdait 29 millions en 2016 après sa reprise par le groupe Alandia, elle vise un résultat positif de 7 millions en 2018 pour un chiffre d’affaires de 112 millions. Le leader français du carbone synthétique pourrait même investir 6 millions supplémentaires et embaucher une quinzaine de personnes s’il est retenu à l’issue de l’appel à projets lancé par la Région pour la création d’une ligne de graphite du futur. Un pied de nez à ceux qui avaient enterré un peu vite cette entreprise plus que centenaire.
À LA VITESSE DE START-UP
Le retournement de Carbone Savoie est symptomatique de la vitalité retrouvée de l’industrie régionale. Ainsi, un peu plus d’un an après son ouverture, l’usine Poma de Gilly-sur-Isère est déjà trop petite. L’extension prévue sera effective fin 2018 ou début 2019. Pour le fabricant de télécabines et d’éoliennes, tous les voyants sont au vert. En montagne, le marché français reprend des couleurs et la Chine s’équipe à grande vitesse en prévision des jeux Olympiques de Pékin en 2022. Les projets de transport urbain par câble se multiplient en Amérique du Sud, dans les Caraïbes et décollent en France, à la Réunion, Toulouse et Orléans. Pour rester compétitif, Poma mise sur de nouveaux moteurs lents, moins bruyants et plus économes en énergie. Cette vitalité rejaillit sur une autre filiale du groupe, Sigma, qui a investi dans une seconde ligne de montage de cabines Premium à Veyrins-Thuellin (Isère). « On va embaucher une quarantaine de personnes en France dans les prochains mois », indique Jean Souchal, le patron de Poma qui emploie déjà 700 de ses 1 050 salariés sur ses sites français.
D’autres industriels se développent à la vitesse de start-up. à peine installé sur son nouveau site de Pommiers dans le Beaujolais, Sic Marking vient de réaliser une extension de 2 000 mètres carrés de ses locaux. En deux ans, l’entreprise a doublé son effectif. En un quart de siècle, elle s’est imposée comme l’un des trois premiers fabricants mondiaux de machines de marquage. Fresenius va, lui, injecter 130 millions d’euros d’ici à 2020 dans son usine de L’Arbresle (Rhône) dédiée à la production de filtres de dialyse et de sachets contenant du bicarbonate de sodium pour dialyse. L’Arbresle devient le site de référence mondiale pour cette activité. Ces investissements se sont déjà traduits par l’embauche de 200 personnes en trois ans et 150 autres sont programmées d’ici à la fin de 2019. Mais « notre principale difficulté est de trouver du personnel qualifié, en particulier des opérateurs, des conducteurs de lignes et de machines. Ce qui pourrait limiter notre expansion future », pointe Thierry Girard, le directeur général de FMC Smad depuis février 2018. D’autres entreprises se plaignent aussi de cette pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Quasiment tous les secteurs ont du mal à recruter. à commencer par celui de la plasturgie en Haute-Loire. Pour y remédier, une convention triennale vient d’être signée entre les entreprises d’Auvergne-Rhône-Alpes et Pôle emploi. L’objectif : pourvoir 3 000 postes d’ici à 2020 dans la région. D’autres industriels comme Carbone Savoie ont créé leur propre école pour former des opérateurs de production.
UNE EUPHORIE CONTRASTÉE
La santé, la chimie, la métallurgie, l’agroalimentaire… l’industrie à papa résiste en Auvergne-Rhône-Alpes. Les secteurs traditionnels sont encore majoritairement ceux qui réalisent des investissements et créent de l’emploi au pays des volcans. à l’instar de Linamar en Haute-Loire, fabricant de pièces de transmission principalement pour l’industrie automobile. Ses clients se nomment Valeo, Caterpillar, PSA, Mercedes et Daimler. Dans les deux ans, Linamar aura investi 10 millions d’euros en équipements sur son site de Montfaucon-en-Velay.
De son côté, le géant Eramet, dont l’un des sites majeurs de production d’alliages de sa filiale Aubert & Duval est implanté à Saint-Georges-de-Mons (Puy-de-Dôme), a inauguré à l’automne une usine. Un investissement de 48 millions qui en a fait la première unité européenne d’élaboration de titane de qualité aéronautique par recyclage. Elle produira des alliages à partir de chutes et copeaux de titane collectés chez les grands constructeurs aéronautiques et leurs sous-traitants. « écoTitanium permet à l’industrie aéronautique de disposer d’une nouvelle voie d’approvisionnement, innovante et indépendante des fournisseurs américains et russes. Elle maîtrise l’approvisionnement en titane, matière première stratégique pour la filière, dans un contexte de forte croissance des marchés aéronautiques », précise la direction du groupe Eramet. Le site devrait monter en puissance jusqu’en 2022 pour tourner à plein régime.
EN POINTE, LA CHIMIE ET L’INGÉNIERIE
Dans l’Allier, Forecreu, entreprise familiale créée dans les années 1950 qui transforme à chaud des métaux et alliages spéciaux pour l’outillage de coupe et le médical orthopédique, annonce investir 5 millions d’euros dans son usine de Malicorne. Il s’agit là du seul site au monde à produire des barres à trous en aciers rapides inoxydables et titane destinées à la fabrication d’outils, d’instruments et d’implants orthopédiques. Autre secteur traditionnellement porteur en Auvergne, l’agroalimentaire. Sabarot, spécialiste des légumes secs, poursuit sa croissance économique et immobilière. Depuis 2011, l’entreprise auvergnate a investi près de 20 millions dans son site historique de Chaspuzac (Haute-Loire).
Cette embellie est confirmée par la Banque de France : l’activité de l’industrie régionale a progressé de 5,1 % en 2017. À la pointe, la chimie (+ 8,5 %), l’ingénierie technique (8,2 %), la métallurgie (5,7 %), l’industrie pharmaceutique (5,3 %). Ce bilan, positif, est toutefois à nuancer. La production industrielle régionale s’est stabilisée en mai. Certains secteurs bien orientés ces derniers mois connaissent un repli comme la chimie, la fabrication de machines et d’équipements.
L’euphorie de quelques serial investisseurs ne doit pas masquer les difficultés de plusieurs industriels régionaux. Schneider se déleste du site de Telecontrol à Beynost (Ain), spécialisé dans la protection et le contrôle de réseaux électriques de distribution. GE Hydro supprime 293 postes dans son usine grenobloise qui fabrique des turbines hydro¬électriques de pointe pour barrages. Seb regroupe toute sa production de fers à repasser sur le seul site de Pont-évêque (Isère), où il va investir 15 millions d’euros, et ferme son usine de Saint-Jean-de-Bournay (Isère). Amoeba réduit ses ambitions en France après l’avis négatif du comité des produits biocides pour homologuer son produit biologique, alternative au traitement chimique de la contamination bactérienne de l’eau. Et se tourne vers les États-Unis pour investir. Une volte-face fâcheuse.
Vincent Charbonnier (Lyon), Genviève Colonna d’Istria (Clermont-Ferrand)
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